Le malade alcoolique et le miroir

C'est pas compliqué, quand je regarde une photo qui a été prise avant mon abstinence, je me "dégoutte", comment j'ai pu faire pour en arriver là! 
ça me fait franchement un choc, 2 ans et demi après. Du coup,  je les ai mises dans un dossier que je n'ouvre plus du tout! 
30kg en moins, teint bronzé par le soleil de bord de mer, et bien dans sa tête, c’est claire que ce n'est plus la même Tulipe  

Oh la la comme ça me parle, ce que tu décris...

Nous nions  la réalité de l'image vue par les autres…

J'avoue, je n'avais jamais vu ça de cette façon, et pourtant c'est bien ça!

On en est au stade où on ne peut plus comparer l'image que nous avons de nous à celle que nous voyons.

En y repensant, c'était plutôt le contraire pour moi. J'avais gommé l'image d'avant, et
je ne voulais pas voir celle du fantôme... 
Surtout le soir, j'éteignais la lumière, pour ne voir le reflet qu' à contre-jour.
Et pour le maquillage, je prenais une petite glace, pour ne pas voir "le désastre en entier".

Cela a mis au moins 2 ans pour que le miroir redevienne possible.

J'y vois deux raisons, la première étant que c'est long de se reconstruire vraiment, avec
la santé et l'énergie visibles. C'était le contraire des kilos en trop dont 
toi ou Tulipe parlez, 12 kg à reprendre ça a été compliqué, se remuscler, se tenir
correctement, reprendre vraiment soin de soi.. 

La deuxième raison, je crois que c'était lié aux autres, à ce qu'ils me renvoyaient
et/ou à ce que j'en percevais, et qui était important à cette époque de sortie du
tunnel. On en sort aveugle, quelque part.

Pendant ces 2 premières années j'ai vu majoritairement des gens dans le cadre de
"suites de cure, stratégie de soin". 
Donc beaucoup en hôpital de jour, au Mab, ailleurs aussi quasi uniquement un univers
de gens en abstinence tout aussi malades que moi. Donc, quelque part, ça ne
pouvait pas me décoller de l'image de l'alcoolique visiblement détruit.

Un peu comme si les paroles sympa n'étaient pas crédibles, en vrai.
Et aussi un peu comme si les commentaires déplaisants que j'ai pu encaisser
à l'époque étaient "dans la logique des choses" (tu te sens comme une ruine,
tu acceptes donc les réflexions de gens pas terribles humainement ni bien
terribles physiquement non plus )

Après, j'ai eu le sentiment de me confronter à un monde plus réel, plus cash.
Le vrai monde, indulgent ni avec les alcooliques ni avec les malades en général.
C'est quand j'ai entendu, de la part de personnes qui ne savaient rien de la cure ni
du reste, des trucs comme "quel changement", ou "tu me donneras ta recette",
que j'ai commencé à (oser) me regarder.
Leurs réflexions agréables me semblaient partiales, puisque hors contexte de
bienveillance due à un cadre spécial.

Je crois que l'alcool avait tellement détruit l'image de soi et la confiance en
mon propre regard sur moi que j'étais complètement larguée là dessus à la
sortie. 
Aujourd'hui heureusement,  ce n'est plus du tout pareil  De là à passer
du temps devant le miroir, quand même pas, à vrai dire je m'en fous un peu,
c'est juste technique. 

À l'inscription en arrivant à mon centre du cure, l'infirmière faisait aussi une photo de nous, pour nos dossiers. Mais aussi pour que nous puissions voir les changements sur notre visage après 3 semaines sans alcool et bien nourris et reposés et la tête remplie de connaissances sur la sortie de l'alcool. C'est une bonne idée et j'en avait été agréablement surpris :-) Une belle façon de nous rendre fiers de notre choix et démarche :-)

C'est une idée super de faire ça!
J'imagine que ça permet d'enclencher la "récupération" 
En te lisant, je me dis que ce déclic sur l'image (physique) de soi est sans
doute le seul truc qui m'a manqué dans l'après cure.

Pendant les 2 ans qui ont suivi, je voyais surtout le changement en santé,
sans mort au tournant en vue, et l'aspect joie de vivre retrouvée, lucidité, 
changement de point de vue sur la vie, tout ça.
Mais je me voyais comme un débris, juste comme une vieille, 
rescapée mais marquée.
Il faut dire que ce problème d'enveloppe corporelle, de toute façon, datait d'avant aussi.
Les failles abyssales de la petite enfance, ça reste si on ne s'en occupe pas à fond.
Et avec les psy, dans les ateliers, je ne me sentais pas trop à l'aise pour le
mentionner non plus. 

Au Shale, ils nous prenaient en photo en arrivant et avant notre départ, un mois plus tard, les changements étaient déjà étonnants....

Idem dans la post cure que j'ai faite. Au bout de 7 semaines on voit vraiment la différence.
J'ai retrouvé des photos d'il y a 3 ans, certaines je les ai carrément déchirées , j'ai conservé juste les autres personnes qui étaient dessus.