Le malade alcoolique et le médecin généraliste

Le malade alcoolique et le médecin généraliste.
 
Je pense que la plus grande peur  du médecin généraliste c'est d'avoir à soigner un malade alcoolique. Et encore quand ce malade n'est plus dans le déni et parle d'alcool, un grand pas est fait, mais souvent le médecin ne peut que rester dans  la supposition d'une dépression existante sans avoir la preuve que l'alcool cause souvent cette dépression...Il faut qu'il y aille en aveugle.
Le médecin a une panoplie de médicaments possibles pour un malade alcoolique ou pour un dépressif comme ils les voient souvent, mais ces médicaments n'agissent que si le malade alcoolique ne boit pas, or nous savons tous que ça ne nous pose aucun problème de boire et de prendre un traitement contre l'alcool, traitement qui devient complètement inefficace. Là aussi, le médecin fait comme s'il n'avait pas un alcoolique dépendant en face de lui mais une personne responsable qui va suivre la prescription à la lettre et prendre ses médicaments sans boire d'alcool. Il ne peut pas ne rien prescrire et pourtant ce serait la meilleure solution…
En plus pour le médecin, le malade alcoolique est un malade qui ne guérit jamais, tout au moins tant qu'il ne se dit pas malade alcoolique et ne se soigne pas correctement. Alors il revoit ce malade, tous les quatre matins, toujours aussi dépressif et mal dans sa peau. Le médecin est découragé et ne sait plus quoi faire. Parfois un symptôme va l'alerter et lui permettre d'envoyer le malade alcoolique chez un spécialiste, mais souvent , le malade ne parle pas de ses symptômes, le malade alcoolique n'a pas vraiment envie de guérir, il a envie de se sentir mieux et cherche le médicament qui lui permettrait de boire en allant bien, ce qui explique le succès du baclofène, succès qui n'a pas duré très longtemps devant la réalité des faits.
Parfois un généraliste prend le temps de parler avec ce malade pour comprendre un peu ce qui se passe, c'est une première approche qui peut apporter beaucoup au malade et l'amener à se livrer, mais les médecins généralistes n'ont que très peu de connaissances sur la maladie alcoolique et la dépendance , alors ils sont vite perdus pour donner des conseils, celui qui revient le plus souvent: "diminuer votre consommation et tout ira mieux"… Dire ça à un malade alcoolique dépendant ne sert à rien on le sait tous….
J'espère qu'un jour, les médecins seront mieux informés sur la maladie alcoolique et la dépendance et pourront conseiller efficacement ces malades qui sont devenus leur hantise...

J'ai deux souvenirs dans ce domaine. Le premier concernait ma mère dont j'avais constaté l'alcoolisme ( discret, caché , honteux ) . Je me sentais incapable de lui en parler ...j'en avais donc parlé à son médecin, notre médecin de famille,  comme si je lui déposais le problème en attendant qu'il le résolve. Comme tu dis Shale, c'est leur hantise... 
Mais il m'a fait comprendre qu'il n'était pas de son ressort de parler à ma place . Je lui en ai beaucoup voulu mais il avait raison. Tant que le MA ne parle pas et ne fait rien de répréhensible ( conduite en état d'ivresse ou trouble à l'ordre public) que peut on faire ? 
J'ai pris le risque de parler avec ma mère ...j'ai pris cher ! Elle m'en a beaucoup voulu et ça n'a rien arrangé. Nous sommes entrées dans une période glaciaire et il a fallu des mois pour que les choses s'apaisent. 
Le second exemple vient d'une discussion avec une amie, médecin du travail, qui était, elle, confrontée aux malades alcooliques que voulaient leur adresser les "hiérarchiques" qui n'avaient pas le courage d'aborder le problème. Elle leur expliquait que rien n'était possible de cette façon, que si le MA ne parlait pas de lui même, elle ne pouvait rien faire. 
Je pense que de nombreux médecins sont impuissants simplement du fait que la démarche n'est pas faite par le malade mais par son entourage familial ou professionnel . Or l'exercice de la médecine ne peut se faire par personne interposée. Et lorsqu'il y a déni ... c'est foutu .

Tu as raison, c'est aussi une caractéristique importante de gêne pour aborder le problème... On ne peut pas faire autrement, ça explique que beaucoup mettent très longtemps à s'en sortir..

Tant que la notion de maladie alcoolique ne sera pas intégrée ...il y a de la route. On situe trop l'alcoolisme comme une pathologie de la volonté et d'ailleurs en tant que MA on le situe là aussi . Il faudrait sortir la culpabilité de sa tête . D'où l'intérêt des psys en ce domaine. 
Le médecin est la première étape et ils peuvent conseiller d'autres thérapies. 
Ceci étant dit j'ai une immense confiance dans mon généraliste ...mais je ne lui ai jamais parlé de mes problèmes avec l'alcool . 
Je lui ai peut être dit beaucoup plus tard un truc du genre. "Je ne bois jamais d'alcool parce que j'ai eu un problème d'addiction". 
Donc rien n'est simple.

Tout à fait d'accord avec l'ensemble des posts sur ce sujet. Mais il faut admettre que seul le MA peut se soigner. Le médecin peut apporter une aide médicamenteuse pour soulager un éventuel manque en cas de sevrage ou de limitation. Si  le MA n'admet pas avoir un problème avec le produit, rien n'est possible. Si, comme c'est très souvent le cas, le MA ne souhaite pas arrêter de boire mais seulement supprimer les verres qu'il juge de trop...C'est à dire qu'il espère pouvoir consommer " comme tout le monde "... Si le médecin lui dit qu'il doit arrêter complètement...il change de médecin. 
Il y a aussi un problème d'autorité. C'est la seule maladie, à ma connaissance, qui se soigne et se " guérie " par le désir et la non-action du patient. Si tu as une sclérose en plaques, tu peux te dire j'arrête ma sclérose, ça ne change pas grand chose... Le médecin, à défaut de guérir, va  soulager et ralentir la progression de la maladie... Avec la maladie alcoolique, le médecin ne peut strictement rien si le patient  ne décide pas lui même de mettre fin à sa torture. Et après la décision, c'est encore le malade qui devra faire tout le boulot. En fait, l'arme du médecin, c'est le dialogue, la prise de conscience par la MA de son problème, que c'est possible de s'en sortir... qu'aucun médicament ne le fera arrêter de boire, mais que certains pourront l'aider dans le sevrage... Un généraliste peut il parler pendant une heure avec un patient afin que ce dernier prenne conscience que le seul médecin qui peut le soigner c'est lui même ? Car on se soigne soi même avec l'aide des autres. C'est ma conviction ( et je la partage avec moi même  ...

béatrisse1 a écrit:Tant que la notion de maladie alcoolique ne sera pas intégrée ...il y a de la route. 

Ah ça oui!
Mon médecin généraliste n'y connaissait rien, et sur des années n'a pas cherché
à en apprendre plus. C'est par le centre d'addiction que j'ai eu une proposition
de cure, et tout l'accompagnement.

Plusieurs années après l'arrêt d'alcool, il me demandait encore, quand je venais
le voir pour un coup de fatigue, si j'avais bu....

Il n'y a que 2-3 ans qu'il m'a demandé "comment vous avez fait?", car il avait
un patient qui lui avait posé des questions.Je lui avais donné l'adresse de mon centre,
à 3 rues de son cabinet...

J'ai changé de médecin depuis. C'est affligeant de voir son médecin traitant
répéter "et l'alcool, rien? Vraiment rien?"

Si les généralistes ne sont pas formés, comment orienter les gens assez tôt,
c'est un problème crucial dont personne ne se soucie. Quel dommage 

Mon médecin actuel n'est pas au courant. Il sait que j'ai abusé, mais vu le
discours qu'il tient sur "les alcoolos", je ne me sens pas la vocation à lui
suggérer quoi que ce soit.

On a une médecine cloisonnée, pour ce qui est alcool je fais comme pour le
reste, chacun sa spécialité. 
Quand j'étais dans un Mab, j'avais proposé de distribuer des prospectus. Mais
on m'avait dit que les toubibs ne les laissaient pas forcément dans la salle
d'attente.

Pour moi, c'est un questionnaire sur la consommation d'alcool qui m'a fait
réaliser que j'étais dans le rouge. C'était dans la salle d'attente d'un
homéopathe. C'est pas mal, les questionnaires, il devrait y en avoir partout.

Il n'y a pas que les généralistes qui n'y connaissent pas grand chose....J'ai été hospitalisée deux fois après un coma éthylique, au bout des 10 jours de sevrage, ils m'ont laissée repartir avec des médocs en me disant de faire attention, pas plus d'un verre par semaine....Alors au début je les ai écouté, mais le verre par semaine est vite devenu une bouteille et tous les jours....

Sans généraliser , la médecine du travail peut faire pas mal de choses en matière d'information. Mon amie ( à laquelle je n'ai jamais parlé d'ailleurs ...faut pas tout mélanger) gérait le service médical de l'entreprise dans ce sens : informons ! Elle laissait pas mal de docs dans  la salle d'attente et organisait des mini conférences sur différents thèmes dont l'une sur l'alcool. Elle avait même créé avec un ancien MA qui s'était porté volontaire ( c'est sympa)  un numéro vert.

C'est un travail de prévention intelligent, je n'ai jamais rencontré ce genre de démarche pendant toute ma vie professionnelle...

Les généralistes ne sont pas formés pour ça et comme ils " détiennent la vérité et le savoir " c'est assez compliqué ...dans mon MAB, jadis, il y avait 3 médecins qui étaient là comme malades... ma belle-sœur est médecin généraliste à Compiègne, spécialisée en alcoologie. Je connais assez bien leur discours,  leurs compétences, très limitées,  et malgré tout, leur bonne volonté...je suis heureux d'avoir connu un très bon MAB avec un responsable plus qu'extraordinaire , et être allé au Calme après un an de fréquentation de ce MAB...
Je crois que je ne m'en serais pas sorti avec un généraliste...

C'est une femme exceptionnelle. La plupart des médecins du travail sont mal  à l'aise avec leur rôle, ils ne sont pas prescripteurs . Elle ne prescrivait pas mais faisait de la prévention ! Exceptionnelle je te dis.

Pardon Gérard, mon message répondait à celui de Shale ... je n'avais pas vu le tien.

béatrisse1 a écrit:Pardon Gérard, mon message répondait à celui de Shale ... je n'avais pas vu le tien.

Il n'y a vraiment pas de mal Béatrisse.
Pour revenir sur la prévention, je suis convaincu qu'une information donnée à un MA, ou futur MA restera dans sa mémoire et , peut-être, lui sera utile le moment venu. Ainsi , le numéro d'un MAB ou d'un alcoologue sera retrouvé par le malade des années après qu'on lui ai donné...Comme s'il l'avait rangé précieusement " au cas où... "

c'est exactement ce qui m'est arrivé, j'avais senti que je perdais pieds peu à peu mais je n'arrivais pas à me decider. un lendemain de cuite,pleine de résolutions, j'avais cherché des numéros de tel d'alcoologues de ma région mais comme le surlendemain j'allais mieux,je les ai mis au fond d'un tiroir et une partie de mon cerveau a du enregistrer cette planque parce que je les ai retrouvé des mois plus tard quand j'ai eu mon déclic

Comme toi cristal, mon alcoologue m'avait laissé son numéro professionnel personnel, il y a 10 alcoologues dans le service de Sevres . Le jour de mon déclic, j'ai très vite retrouvé son telephone au fond d'un tiroir.
Par contre, j'avais essayé de poser le problème de ma consommation que je trouvais excessive il y a 20 ans à mon médecin généraliste , il m'a prescrit de l'espéral, en me disant juste attention si vous prenez ce médicament il ne faut pas boire plus d'un verre maximum...je ne te dis pas la réaction, une horreur, bon sang que j'avais été mal, du coup le truc à la poubelle et j'ai continué.
Bref, 10 ans apres je re demande à ma nouvelle médecin , l'autre avait pris sa retraite, elle a été très franche , m'a dit qu'elle ne savait pas soigner cette dépendance, m'a envoyé vers un centre pour la drogue, aucune connaissance sur les CSAPA.
Depuis je lui ai donné tous les numéros de centres, hôpitaux, CSAPA, j'ai été agréablement surprise il y a 3 semaines de les voir affiché dans la salle d'attente du cabinet.