Dehors, une portiére qui claque

Mon père, malade alcoolique, m’a maltraité pendant des années. Il m’a terrorisé et brusqué pendant des années. A chaque fois qu’il buvait et que je faisais du bruit, j’étais envoyé dans ma chambre avec des cris et des fessées….

J’ai 36 ans et malgré 4 ans de thérapie pour dépression nerveuse, je sursaute toujours quand ma voisine fait claquer sa portière de voiture.

Enfant, je suis dans mon salon, j’entends une porte de voiture qui claque et je sursaute. La peur serre mon cœur : il va rentrer. Il va rentrer et a partir du moment ou il franchira la porte je serai en danger.

Je file dans ma chambre a toute vitesse. Je monte l’escalier quatre à quatre. Vite ! Etre dans ma chambre avant qu’il ne franchise la porte ! Ne pas se faire repérer, ne pas faire voir, devenir indétectable, invisible... En un mot : disparaître !

Ouf, je suis arrivé. Il ne m’a pas vu et je vais pouvoir rester tranquille, en sécurité.

J’attendrai le repas en guettant chaque bruit, chaque pas dans l’escalier. A chaque fois que j’entends sa voix, je sursaute. Je calcule rapidement d’où vient le son et j’en déduis la distance entre lui et moi.J’en viens a savoir exactement ou chacune des personnes se trouve dans la maison.

Encore aujourd’hui, je peux vous dire exactement ou mon fils ou ma fille se trouve. La peur vous oblige a vous défendre. Pour vous défendre, vous apprenez des techniques de survie. Moi j’ai appris a me cacher dans ma propre maison. J’ai appris a me rendre indétectable dans mon propre foyer.

Les enfants de malade alcoolique réagissent différemment. Certains deviennent violent, d’autres tombent malades. Moi ? je suis devenu invisible.

C'est une terrible réalité que tu racontes là!!!! C'est horrible de voir ce que tu as vécu.. On entend souvent le conjoint du MA se plaindre de mauvais traitement mais rarement les enfants, alors c'est d'autant plus important que tu le fasses! Les enfants d'alcoolique vivent dans la honte quasi constante et souvent la haine de ce parent là, tu parles de la peur, et c'est nouveau, je ne pensais pas que la peur pouvait être aussi prégnante chez les enfants. Ces enfants essaient d'être conformes à ce qu'on attend d'eux, dans ton cas, se faire oublier. Ils essaient aussi toujours de tout contrôler pour éviter le pire, ça aussi on le retrouve chez toi.
En général ce sont des enfants trop responsables chez lesquels une mince touche de maturité cache un vide immense.
Ces enfants vivent dans la peur leur enfance volée, ils passent leur temps à essayer de cacher leurs sentiments, leurs émotions. Toute existence propre leur est déniée.
Il se pose ensuite le problème de comment vont grandir ces enfants, tu l'expliques un peu, très mal en fait, ils grandissent sur du vide, des émotions sévèrement contrôlées et il leur manque toujours quelque chose, ce qui les pousse souvent à tomber à leur tour dans l'alcool...
Comment as-tu pu réussir à te relever d'une telle enfance, si ce n'est pas indiscret bien sûr!!

Merci SHALE. Comme toujours, ta réponse me touche beaucoup.

Comment on vie avec tout ca ? La réponse est en deux étapes.

La première, en grandissant, j'ai plongé dans la codépendance. Comme peut le faire le conjoint d'un malade alcoolique, je me suis mis à tout contrôler pour ne pas le contrarier : devenir invisible et petit a petit prendre les choses en charge en espérant que ca change quelque chose. Cette obsession de bien faire, cette volonté de prendre les choses en charge à la place des autres, quitte à me sacrifier, l'obsession de faire en sorte que les choses se passent bien... tout ces choses qui caractérise le comportement typique d'un codépendant. J'ai passé la majeure partie de ma vie a me conduire comme ca. J'ai même choisis un métier qui me permet d'agir comme ca et mon patron me l'a déjà fait remarquer.

La second partie, mon père est mort de son alcoolisme et je suis devenu père à mon tour. Là, j'ai commencé a faire des crises d'angoisses à avoir des épisodes dépressifs. J'essaie l'acuponcture, l homéopathie, les psychologues, les anti dépresseurs... Puis il y a quatre ans, je craque. Diagnostic sans appel : dépression nerveuse avec plusieurs mois d'arrêt maladie.

Aujourd'hui après quatre ans de thérapie et un gros travail sur moi. J'affronte mes angoisses tous les jours. Je vois ma thérapeute toutes les semaines, j'essaie de me libérer et de me reconstruire.

J'ai construis ma vie avec ce que j'ai vécu. Mon père m'a pris beaucoup de chose : mon enfance, mon adolescence, mon innocence.... Mais j'ai décidé qu'il ne m'avait pas tout pris et c'est avec ce qu'il me reste que je veux me reconstruire.

Ta réaction est la bonne, il ne t'a pas tout pris, il te reste des choses à développer et les capacités que tu as du mettre en place pour te défendre peuvent aussi te servir . Si tu arrives à combler ce manque immense, tu pourras peu à peu de reconstruire autour d'autre chose de plus solide et de plus gratifiant, ce que tu fais, j'en ai l'impression.
Tu ne parles pas de ta mère, comment réagissait-elle devant l'alcoolisme de ton père et quand il s'en prenait à vous ???

Et bien Julien,
Je suis .... ébahie, émue .....
Faire tout "ça" à ton âge.... tomber dans une codépendance jusqu'à t'oublier....il y a vraiment de quoi être marqué.
Je ne pensais pas non plus, pas qu'un enfant puisse être marqué, non pas du tout, mais qu'il "développe" cet "instinct".... sur lequel tu t'es bâti... un mode de construction à toi.
Oui, ta paternité a dû te faire "flipper".....
Le passé ne peut malheureusement, mais le présent et le futur oui, ... tu le fais pour toi, pour tes enfants.

Merci julien

Pour ma mère, elle s'est lancée dans la codépendance. Elle a essayée de contrôler la situation et donc mon père. Après plusieurs années, elle l'a obligé a faire plusieurs cures puis ils ont divorcés.

Par rapport a ce que j'ai vécu, elle s'est rendue compte qu'il allait trop loin mais elle n'a pas saisit les conséquences que ca pourrait avoir chez moi. Je pense qu'elle ne comprenait pas bien tout ce qui nous arrivait. Elle m'a souvent poussé a l'aider et dans un sens, elle s'est rendue "complice", comme tout codépendant, de ce qui se passait.

Aujourd'hui, elle comprend que ça m'ait traumatisé mais elle ne comprend pas a quel point ça m'a bousculé et a quel point je peux en souffrir aujourd'hui. Je n'arrive pas a en parler avec elle aujourd'hui. Elle met toujours de la distance quand on parle de tout ca.

J'essaie de me construire sans son aide sur ce point mais ce n'est pas simple. Encore une fois, je remercierais jamais assez ma thérapeute pour son aide sur ce point.

Je pense que pour ta mère, il y a une telle culpabilité par rapport à ton père et à toi , qu'elle ne peut pas l'aborder ou très difficilement..... Mais comme tu dis, heureusement qu'il y a de très bon thérapeutes.....
En tout cas tu as déjà fait une partie du boulot, je te souhaite bien du courage pour continuer et n'hésite pas à venir poser tes valises ici quand elles sont trop lourdes....

Encore merci pour votre écoute et nos échanges.

Je n'aurais pas pensé que des enfants pouvaient aussi tomber dans la codépendance. Merci de partager ton histoire julien.

Les enfants sont des éponges , ils ne peuvent pas comprendre ces comportements et en sont horriblement victimes .Beaucoup n'ont pas la force une fois adultes de parcourir le chemin que tu as emprunté Julienk , tu démontres bien l'impact sur les enfants , celà permet d'en prendre conscience . Un sujet méconnu..........

Merci

Du coup je me suis aussi renseigné sur les enfants de malades alcooliques, c'est vraiment terrible. Souvent ils sont pris en otage par le malade pour aller leur acheter leur drogue, ou pour la cacher, alors pour avoir la paix, beaucoup le font.... Ils sont constamment au bord du gouffre , ce ne sont plus des enfants et ce ne sont pas non plus des adultes, leur seule place, c'est celle d'enfant de malade alcoolique, je trouve ça tragique...
Je crois que maintenant les MAB, tout au moins certains les prennent aussi en charge, c'est sans doute un plus.
Mais pour toi , la thérapie c'était la meilleure chose à faire. Tu as des frères et des soeurs?

Hello SHALE,

Oui j'ai des frères et soeurs mais ils sont plus jeune. Ils n'ont pas du tout vécu les choses de la même façon.

Ils ont du mal a comprendre ce qu'il m'arrive mais on en discute un peu. Les choses avancent la dessus aussi.

Oui, c'est important aussi qu'ils puissent comprendre ton comportement... Mais surtout continue ta thérapie, il n'y a que comme ça que tu retrouveras une vie normale, sans cette peur lovée au fond de toi....