Les trois espaces temps du malade alcoolique

On peut distinguer trois espaces temps dans la vie d'un malade alcoolique. Chez ce malade, le temps perd sa continuité, et se divise assez nettement en trois étapes, trois périodes entremêlées avec lesquelles, il tente de rythmer ses jours et de survivre, souvent dans le mensonge.
 
Tout d'abord, il y a le temps commun à tout un chacun, celui du travail, de la vie quotidienne et de ses obligations, ce temps, quand on est malade alcoolique, on essaie plus ou moins t'y tenir notre place, plutôt mal que bien d'ailleurs. Ce temps est souvent très difficile à vivre pour le MA qui n'a plus d'énergie, celle-ci étant détruite par l'alcool.
 
Ensuite il y a ce que j'appellerai le non-temps, ce temps quand, ivre mort, nous coulons à pic, ces instants où nous ne pouvons que nous écrouler et dormir, ou plutôt cuver, le mot est plus juste.
On se réveille souvent avec aucun souvenir de ce qui s'est passé avant. C'est un temps où le cerveau n'a rien imprimé, cette amnésie causée par l'alcool est très angoissante à vivre.
 
Enfin, il y a le temps de l'angoisse, le temps d'un mal-être infini, le temps où seul subsiste en nous une envie de boire qu'il nous faut absolument combler. Ce moment où le seul avenir que nous pouvons envisager, c'est de trouver une bouteille le plus vite possible. Là, le passé et le futur n'existent plus, nous sommes dans une urgence qui nous fait agir pour trouver de l'alcool de toutes les façons possibles. Nous ne pouvons pas résister, il nous faut notre dose.
 
ON arrive toujours à la trouver cette bouteille et on n'attend même pas d'être de retour à la maison pour la boire, le premier coin tranquille suffit pour avaler cet alcool qui va nous permettre d'avancer un peu plus dans notre déchéance.
Quand on le boit, on a l'impression de recommencer à vivre, tout reprend à peu près sa place, mais la honte arrive aussi vite et elle nous accompagne dans cette non-vie.
 
Ces trois temps font du malade alcoolique un être extrêmement malheureux, un être qui est dans la culpabilité la plus profonde, qui s'en veut et en veut aussi au monde entier , un être qui s'exclut lui-même de la vie normale et qui en souffre parfois jusqu'à en mourir.
Ghyslaine Gimenes

L'impasse conduit effectivement à envisager la mort comme une solution, une issue presque plaisante puisqu'il n'y a plus le moindre espace de sérénité, que chacun de ces trois temps là traîne son lot de tourments et que cette valse macabre ne cesse de s'accélérer.

C'est un mouvement incontrôlable où je me suis senti très seul (sans être nullement coupé des miens ni de la vie sociale, pourtant) parce que je sentais bien que "mon" temps, la succession permanente alcoolisation gueule de bois, ne collait plus au temps ordinaire. Les insomnies éthyliques (réveil à 3h du mat' avec sueurs chaudes-froides, sans ré-endormissement possible) aggravant encore la perte des repères et le sentiment d'impuissance à sortir du cycle.

Avec l'augmentation continue des doses et les envies de plus en plus impérieuses dès le matin, sans plus aucun effet de la raison pour "limiter la casse", c'est près de trois ans de plongée parfaitement consciente qu'il m'a fallu avant de trouver un déclic. Et mettre fin à douze années de cette triste danse.

Je me retrouve tout à fait dans ce que tu écris rur, tout ça je l'ai aussi vécu en ne pensant pas en sortir un jour...Heureusement, je me trompais, il y avait bien une issue...

Bien écrit et expliqué, ces trois phases du temps pour un malade alcoolique Shale.

Lorsque j'ai choisi d'arrêter, je commençais à vivre les effets pervers de l'alcool. Les angoisses de ne pas pouvoir me ré- approvisionner, les regrets, la honte, etc. C'est d'ailleurs ce qui m'a donné le déclic, je me sentais de plus en plus esclave, et j'aime trop la liberté.

Passe un moment vers la fin où la honte tu ne l’as même plus, je m’en fichais royalement, personne pour me voir pleurer, boire, cuver et recommencer….alors !!! Le dernier magasin j’avais mis ma dernière vendeuse.
Chaque jour je me faisais livrer et je faisais un virement. Sûrement que des fois, il n’y avait pas le compte, mais bon. Plus aucune honte, je trinquais à la mauvaise santé de la terre entière ! Je ne mangeais pratiquement plus.

Parfois quand j’allais visiter des malades à l’hôpital, 
Il y a deux ans, cela me renvoyait tellement de sales souvenirs, que j’avais renoncé, déjà en voir en réunion ça m’attristait. Maintenant, vous allez me dire «  sans empathie, sans cœur, sans ce que vous voulez «  je sais enfin prendre du recul et je me reconnais plus vraiment. Je comprends ce quils endurent mais c’est tout,cependant je n’oublie pas, jamais. La page est tournée vers l’accompagnement, c’est celle de la résilience et plus aucune honte, une certaine sérénité assurément.

Quand nous pouvons entrer "en résilience", on peut dire que nous sommes sauvés. Nous réussissons à faire de notre faiblesse, de notre malheur, une force et ça, ça n'a pas de prix....