Parents alcooliques, quelles conséquences sur la construction des enfants.

"Mon père a toujours bu, depuis que je suis née et même avant. il a toujours été alcoolique. Et il l'est toujours, même s'il le nie encore." Nina a aujourd'hui 25 ans et s'est construite avec un parent alcoolique. Son enfance et celle de sa petite sœur ont été marquées par cette addiction. En effet, quand un membre d'une famille boit, il est fréquent que l'ambiance à la maison ne soit ni calme ni sécurisante pour un enfant ; les rapports familiaux sont souvent tendus."Je n'ai pas eu une enfance comme celle des autres, je me suis toujours sentie différente sans avoir vraiment conscience que j'ai vécu des choses très loin des schémas classiques. Mon père nous a mises, ma sœur et moi, dans des situations de dangers. Il nous a laissés seules de longues heures pour sortir boire, il a conduit alcoolisé alors que nous étions dans la voiture, il a tenu des propos violents...".

Comme le décrit Nina, il n'est pas rare qu'un parent alcoolique tienne des propos qui dépassent sa pensée, ne tiennent pas ses promesses et rendent l'organisation familiale bancale, avec, par exemple, des repas qui sont servis à des horaires improbables ou des enfants oubliés à l'école. En France, d'après les chiffres de SPF, près d'un quart des adultes de 18 à 75 ans boivent trop d'alcool. Derrière ces chiffres, des hommes et des femmes dont les enfants, s'ils en ont, courent six fois plus de risques de développer à leur tour une dépendance à l'alcool, même si évidemment, tous les enfants d’alcooliques ne développent pas à l’âge adulte des problèmes de dépendance et/ou des problèmes psychologiques.

 
"Un parent est sensé être un repère, celui qui nous protège. Quand on a un parent alcoolique, il faut souvent apprendre à grandir plus tôt et être plus autonome. Je me suis notamment beaucoup occupée de ma petite sœur", raconte la jeune femme. Dans ce contexte, les enfants peuvent ressentir un tas d'émotions et de sentiments, souvent mêlés. Par moment, l'inquiétude ou la peur pour son parent vont être prédominantes. "Chaque jour au collège ou au lycée, quand quelqu'un frappait à la porte de la classe, je pensais pendant une seconde qu'on allait m'annoncer que mon père était mort. Soit parce qu'il aurait eu un accident de voiture, soit parce que ma mère l'aurait tué dans un coup de sang, à bout de nerfs", se souvient pour sa part Lucie, dont le père souffrait également de problèmes d'alcoolisme.






A d'autres moments, la colère, voire la haine peuvent éclore. "Pendant un an, j'ai rompu le contact avec mon père. Je lui ai fait une longue lettre, comme une dernière tentative de lui faire prendre conscience de la situation", confie Nina. A d'autres moments, ou selon les personnes, les enfants peuvent se sentir malheureux ou même être mal à l'aise, gênés d’inviter des amis à la maison par exemple. "J'avais de la peine de le voir dans cet état. Ce papa tant choyé qui n'est plus qu’une ivrogne qu'on doit aider à se rhabiller. J'avais mal pour lui, mal qu'il s'inflige cela et je n'osais en parler à personne, j'avais honte d'en parler. J'avais l'impression qu'il m'aimait moins que sa bouteille de vin", témoigne Lucie. Rassurons tous les enfants d'alcooliques : l'ensemble de ces sentiments sont courants et normaux...
Quand ils sont très jeunes, les enfants vont également s'interroger sur le pourquoi. Pourquoi papa ou maman boivent-il autant ? Pourquoi ils ne s'occupent plus de moi ? L'incompréhension règne alors mais il est difficile d'apporter une explication à l'alcoolisme. Certaines personnes se mettent à boire parce que l’alcool leur procure une sensation de bien-être ou leur permet de se détendre. Certaines personnes commencent à boire de plus grandes quantités d’alcool progressivement, alors que pour d’autres, la consommation abusive d’alcool peut commencer soudainement. Parfois, le stress ou des problèmes de santé mentale peuvent pousser une personne à boire davantage. "Je lui en ai si souvent voulu de ne pas parvenir à arrêter de boire, malgré les nombreuses situations extrêmes dans lesquelles il nous mettait à tous. Je le détestais de nous faire subir ça", avoue Julie. 

Mais très vite, la culpabilité reprenait le dessus : "A la fois, je me disais que si je n'étais plus là, qui pourrait lui donner la force d'arrêter de boire ?". En effet, parmi les ressentis très forts exprimés par l'entourage d'une personne souffrant d'alcoolisme, on retrouve également la culpabilité. Faute d'explications rationnelles, les enfants, même grands, vont penser consciemment ou non que c'est de leur faute. Pour se protéger, Nina  a de son côté dû prendre des décisions difficiles à l'encontre d'un parent : "J'ai déposé une main courante contre mon père, qui avait été violent à mon encontre. Même si c'était la bonne chose à faire, on ressent forcément toujours de la culpabilité", exprime-t-elle.
LIRE AUSSI :

• Témoignage : "J'étais une maman alcoolique et ça a failli briser ma famille"
  
• Tout ce qu'il faut savoir sur l'alcool pendant la grossesse
  

Face à ce contexte peu sécurisant pour l'enfant, il n'est pas rare de voir éclore le phénomène d'enfant thérapeute ou enfant béquille. “Les enfants sont de vraies éponges émotionnelles, ils ressentent quand leur parent va mal et veulent trouver une solution pour qu’il aille mieux”, décrit ainsi Bruno Clavier, auteur de Ces enfants qui veulent guérir leurs parents (Payot). "Toute mon enfance, et encore parfois aujourd'hui, j'ai voulu sauver mon père", confirme Nina. Souvent livré à lui-même, l'enfant va souvent devoir effectuer certaines tâches qui ne lui reviennent pas, comme s'occuper de ses frères et sœurs, ou assumer d'autres responsabilités plus lourdes. Une fois adulte, l'enfant va souvent continuer de porter secours aux autres.

Il s'investit également parfois d'une mission de surveillance du parent malade, quand il n'en est pas chargé par l'autre parent. " 'Va voir comment est ton père aujourd'hui' me demandait souvent ma mère. Je détestais ces moments, j'avais l'impression de devoir prendre la température et de rendre compte de l'état de mon père : va-t-il pouvoir se lever aujourd'hui ? Est-il agressif ou peut-on dialoguer ? C'était infernal de jouer ce rôle-là", se rappelle Lucie. Pourtant, si les personnes qui ont un problème de consommation d’alcool ont vraiment besoin du soutien de leur famille, ce sont les adultes qui ont la responsabilité d’aider dans ce genre de situations, et non pas les enfants. Un enfant ne peut ni contrôler le problème, ni le faire disparaître.
Les familles concernées le savent : l'alcoolisme est une maladie très difficile à vaincre. Les personnes qui ont un problème d’alcool peuvent avoir du mal à arrêter de boire, même si elles le souhaitent. Dans ce contexte familial, le reste de l'entourage doit lui-aussi se préserver. Il faut notamment être attentif aux signaux qu'envoie l'enfant, car l'alcoolisme peut également avoir des répercussions sur l'entourage. Problèmes de sommeil, difficultés de concentration, hyperactivité, retard de croissance, anxiété, dépression, isolement, troubles de comportements (agressivité, délinquance), problèmes scolaires sont autant de signes que quelque chose cloche.
Parmi les solutions possibles, les groupes de paroles peuvent lui permettre de rencontrer d’autres enfants qui vivent la même chose que lui, comme Al-anon/Alateen. Même si elle a rejoint ces groupes tardivement, ils ont beaucoup aidés Nina : "Au début, j'avais l'impression de trahir mon père. Mais très vite, j'ai vu le bien que ça faisait de décharger ma souffrance et trouver une véritable écoute bienveillante, compréhensive et sans jugement. Grâce à ces échanges avec d'autres personnes touchées de près par l'alcoolisme comme moi, je prends plus de recul. J'avais tendance à le mépriser de le voir être dans cet état. Aujourd'hui, j'accepte mieux de parler de maladie, et donc je le juge moins. Je sais que je dois m'occuper de ma vie à présent et qu'il est le seul à pouvoir décider de s'en sortir". 
Ces groupes de soutien ont l'avantage d'aider à se sentir moins seul.e. Lorsqu’un membre de la famille a un problème lié à l’alcool, le silence entoure bien souvent cette maladie, que l'on a du mal à nommer. Tous les enfants ont pourtant besoin d’explications et de soutien adaptés à leur âge pour mieux comprendre les problèmes liés à la consommation d’alcool. Ne croyez surtout pas que les enfants ne se doutent de rien. Les enfants sentent les tensions et souffrent sans comprendre ce qui se passe. Comme on a pu le voir, les enfants se posent beaucoup de questions et éprouvent de nombreuses craintes lorsqu’un membre de leur famille boit trop d’alcool, surtout lorsqu’il s’agit d’un de leurs parents. Qu'ils expriment ouvertement leurs émotions ou non, si les enfants n’obtiennent pas de réponses à leurs questions, ils ont tendance à tirer leurs propres conclusions, qui peuvent être erronées et terrifiantes.
"Ma mère n'a jamais cherché à cacher la situation de mon père. Dès 3 ou 4 ans, elle m'a expliqué que mon père était malade à cause de l'alcool. Avec mon cerveau d'enfant, je lui ai rétorqué : 'On va l'accompagner chez le médecin alors'. Mais j'ai vite compris que ce ne serait pas si simple." Comme c'est le cas dans l'histoire de Nina, il arrive d'ailleurs parfois que la personne ne veuille pas admettre qu’elle a un problème d’alcool, la quantité d’alcool qu’elle boit, et l’effet que cela a. Si vous faites partie de l'entourage d'un enfant dont le ou les parents ont un problème d'alcoolisme, vous pouvez également être démunis par la manière dont il faut en parler. Les problèmes liés à l’alcool dans la famille sont une question complexe, donc n'hésitez pas à solliciter l'aide d'une médecin ou l'accompagnement d'associations

L'association Entraid'addict par exemple, où je suis membre actif. en plus des CSAPA de votre région.

https://www.entraidaddict.fr/