mon sentier follet 2

J'espère aussi que ton amie ne souffre pas et que la morphine lui évite les angoisses de cette fin de vie..
Mais fais attention à toi, anna, essaie de te faire plaisir un maximum, sors, ne te renferme pas chez toi, vois du monde, profite du soleil quand il y en a, il faut que tu boostes tes endorphines un max là!!
Courage ma belle!!

Pardon, ça ne va être ni gai ni ragoûtant, mais j'ai besoin de parler d'elle.

Les visites à l'amie cancéreuse sont désormais une véritable épreuve - hier, l'homme était plus souvent dehors que dans la chambre.

Elle est maintenant dans une chambre seule. Quand on est arrivés, elle dormait, le drap découvrant son corps flapi, sa couche pleine de ch*asse, avec la poche d'urine pendant au bord du lit. Je l'ai recouverte doucement pour ne pas la réveiller. Deux appareils sont près d'elle à présent, pour mesurer quoi ? je ne sais pas bien (taux d'oxygène ? de gaz dans le sang ?). Plus la perf', avec une poche et une grosse aiguille qui distille un produit lentement.

Elle porte toujours ses lunettes noires. Elle n'a plus que de rares cheveux sur le crâne (la perruque rose n'est plus de saison). Elle n'articule plus rien mais grogne ou geint. Ses gestes qui ne sont plus coordonnés lui permettent à peine de boire, de sonner l'infirmière - elle a du mal à maîtriser le clavier qui permet de lever ou d'abaisser la tête du lit. Elle a passé un moment à appeler l'infirmière en continu, puis à éteindre et allumer la lumière (toujours avec la "zappette"). "Vous avez mal ?" Grognement. "Où ?" Elle montre sa gorge. "Je vais vous donner un petit médicament." Et elle ne revient jamais...

Petite séance de lecture à haute voix.

Finalement, un interne se présente. On sort de la chambre. Mais entend quasiment tout ce qui se dit. Elle a mal, modérément, mais veut rester éveillée. Ils communiquent par des serrements de mains - "oui", elle sert, "non", elle ne réagit pas. Ça, je retiens (moi, je lui demandais de lever le bras).
Une fois sorti, ce médecin nous fait un bref bilan. Il va lui donner de la morphine, en dose "raisonnable pour l'instant" ; "s'il le faut, on augmentera la dose, sachant que cela peut accélérer le décès" - au moins il est franc. Mais qu'il l'augmente, la dose, tout de suite ! qu'elle soit libérée ! Sauf que ce n'est pas à nous de décider : à ses enfants, son frère, oui. Mais ils ne sont pas là (sauf son frère, bien présent)...

Retour dans la chambre, seule avec elle. A partir de maintenant on communique avec les serrements de mains. Elle veut un massage, avec l'huile à l'arnica. Ce que. Par demi-dos, parce qu'elle a du mal à se tourner, même avec mon aide. Je lui dis : "Tu sens bon !" Pendant l'autre moitié du dos, elle s'endort ; elle a l'air apaisée.
J'ai réussi à la faire sourire deux fois.
Moi, je lui parle, doucement mais avec énergie ; je souris aussi, souvent.

Avant notre départ, elle se réveille. On lui dit "à bientôt", "dors, fais de beaux rêves" "tchao"... quoi d'autre ?? "Meurs vite" ?
Ç'aura duré 2 heures.

Dehors, je vais voir un parterre de fleurs jaunes, et je pleure, enfin. Je lâche.
Elle s'appelle Babeth.
C'était une excellente comédienne. Elle aura au moins joué Winnie dans sa vie - et Winnie, c'est quelque chose.

Samedi prochain, on y retourne, si elle est encore là - ce que je ne souhaite pas.


Un petit hommage que je lui avais écrit il y a quelques semaines, quand elle réussissait encore à (mal) articuler quelques mots essentiels :

Dans sa pisse
Sa merde
Sur sa couche
Tuyau aux narines
Elle règne
Reine
De ses alarmes
Perruque rose
Contre sa joue
« Bites, couilles, poils »
Cri de son combat
Albert Charles Anne
À son chevet
Le poussent
Elle tape
Se fout des oiseaux
Des nuées
Jamais son eau ne coule
Sur son livre
– Tu sens le savon

Voilà. Une fois de plus, j'accompagne une personne vers la mort. Et ça ne fait que commencer.

Mais vous avez raison : continuer à vivre, à goûter toutes les petites et bonnes choses, se faire plaisir, se respecter et respecter les autres, vivre debout et le mieux possible, avant la fin, qui viendra quand elle viendra, et c'est tout.
Merci d'être là.

Tu as tout mon respect Anna. C'est trés beau ce que tu fais.

Merci, Chiffounette. C'est très dur, vidant, demande une énergie incroyable, surtout, de ne jamais pleurer devant elle, ne jamais lui montrer un visage sombre, mais je ne regretterai jamais de l'avoir fait.

je t'admire de réussir à continuer cet accompagnement, ce doit être l'horreur et je trouve que les soins palliatifs, c'est bien insuffisant pour aider une personne à passer dans l'autre monde.
Courage à toi, mais surtout détends toi, lave-toi l'esprit de ces images, pense qu'elle joue sa dernière pièce avant de quitter son public.
Nous sommes tous de passage, pour elle c'est la sortie mais nos larmes ne serviront à rien, hélas!!!!

SHALE a écrit:pense qu'elle joue sa dernière pièce avant de quitter son public.

Voilà qui me plaît. C'est un rôle atroce, mais elle y excelle - hélas.
J'ai eu son frère au téléphone, il pleure ; je fais ce que je peux pour l'apaiser un peu ; lui ai proposé qu'on aille la voir ensemble, qu'il ne soit pas seul dans cette chambre de mort. Ç'a paru le soulager.

Merci, Shale
(Je trouve comme toi que les "soins palliatifs" ne conviennent pas à la situation de certains malades, pas du tout.)

Il y aurait tant à dire sur ces soins palliatifs, comme dit ma fille, c'est odieux et que ça se passe au pays des droits de l'homme.

tout mon coeur avec toi anna

bonjour anna,
ma fille a un gros souci, son ressenti par rapport au texte, c'est la colére mais voilà elle est très mal à aise, parce qu'elle trouve qu'elle se met trop a nu devant des inconnus.
comme elle s'énervait je lui ai dit de revenir à l'étonnement, qu'elle avait choisi hier.

bonjour anna, c'est laurane, la fille de chiffou
Je vous remercie pour votre aide infiniment précieuse qui éclaire le montage de ma scène. Cependant comme vous venez de le lire j'ai un petit problème. Néanmoins, j'ai refait une lecture du texte en essayant l'etonnement. Et bizarement, j'ai fait une sorte de mix de l'etonnement et de la colère. Je trouve que ça rend un bon résultât mais j'ai peur de surjouer. A mon avis, lorsque je dis le texte de cette façon, on dirai que le personnage en racontant une parti de sa vie a un public fait peu a peu au fil du texte ressortir sa colère et sa rancoeur envers le choix de sa mère.
J'aurai voulue votre avis sur ce ressenti et savoir si je suis dans l'erreur ?

C'est vraiment admirable ce que tu fais là anna.....
Vous avez bien raison, toute personne perd un peu plus chaque jour de sa dignité dans de telle condition 

courage ma belle 

bonjour anna

les soucis de théâtre de ma fille paraissent tellement ridicules dans ce moment.

laisse tomber anna si ça te porte peine.

chiffounette a écrit:bonjour anna,
ma fille a un gros souci, son ressenti par rapport au texte, c'est la colére mais voilà elle est très mal à aise, parce qu'elle trouve qu'elle se met trop a nu devant des inconnus.
comme elle s'énervait je lui ai dit de revenir à l'étonnement, qu'elle avait choisi hier.

bonjour anna, c'est laurane, la fille de chiffou
Je vous remercie pour votre aide infiniment précieuse qui éclaire le montage de ma scène. Cependant comme vous venez de le lire j'ai un petit problème. Néanmoins, j'ai refait une lecture du texte en essayant l'etonnement. Et bizarement, j'ai fait une sorte de mix de l'etonnement et de la colère. Je trouve que ça rend un bon résultât mais j'ai peur de surjouer. A mon avis, lorsque je dis le texte de cette façon, on dirai que le personnage en racontant une parti de sa vie a un public fait peu a peu au fil du texte ressortir sa colère et sa rancoeur envers le choix de sa mère.
J'aurai voulue votre avis sur ce ressenti et savoir si je suis dans l'erreur ?

D'abord, pas de souci : ça me change les idées et c'est très bien.
"Se mettre à nu devant des inconnus", c'est la base même du métier de comédien (comme je l'entends - d'autres préfèrent parler de "savoir-faire", de "trucs", de "ficelles" et "d'astuces" : pour moi, tout ça est une imposture) ; cela dit, on ne va pas jusqu'à l'impudeur - quoique, parfois... -, en tout cas pas, du tout, jusqu'à l'exhibitionnisme narcissique. Juste, on se donne à voir, on se laisse traverser par le regard du public, qui peut alors ressentir, penser, imaginer toutes sortes de choses, être actif, en somme.
Bref.

Bonjour, Laurane,
Déjà, bravo pour votre recherche poussée, votre attention au texte.
Si la colère est venue, c'est qu'à la fois elle vous appartient et est présente dans le texte ; la mêler d'étonnement me semble très juste et évite le simplisme de la seule colère.
Surjouer, c'est être "trop extérieur", coupé de soi-même ; si vous ne perdez jamais le contact avec ce que vous ressentez, ce qui vous anime en disant ce texte, m'est avis que vous ne surjouerez pas
La colère (avec l'étonnement) est intéressante parce qu'elle contredit un peu le texte, qui, lui, exprime de l'admiration pour cette femme qu'est sa mère (je ne me trompe pas ?).
On m'a appris - et je l'ai vérifié - que ce qui est intéressant sur un plateau, c'est la tension, le tiraillement entre une chose et son contraire (comme, par exemple, dans la danse, l'appui, l'ancrage au sol et la légèreté se répondent, la chute et le saut ont besoin l'un de l'autre). C'est l'ambiguïté qui fait l'intérêt d'une œuvre (notamment), de son interprétation. (Exemple : le plaisir que prend Phèdre à souffrir.)
Je pense sincèrement que vous êtes bien partie.
Un autre conseil : on travaille, on répète... Il est bon, aussi, de laisser reposer, "décanter", et de voir ce qui reste, de conserver les traces du travail : ces traces, plus fines que le travail nécessaire qui a été mené, sont souvent d'une expression très forte.
Ah ! une dernière chose : le travail du comédien, de la comédienne, tel que je l'entends (et encore une fois je suis loin d'être la seule), peut être dangereux ; on risque de se perdre, se perdre de vue, se laisser emporter dans un monde étrange, que je ne saurais pas décrire, mais qui est mentalement dangereux. C'est pourquoi, lorsqu'on joue, bien qu'on soit entièrement, profondément, dans ce qu'on fait, dit, est, on garde toujours une très légère distance, comme si l'on tirait doucement les ficelles de la marionnette vivante qu'on veut bien devenir le temps d'un spectacle, d'une scène. (Ce qui n'a rien à voir, attention, avec le fait de se regarder jouer, ni, pire, de se juger.)
Bon travail, Laurane !
Voilà pour cette fois-ci N'hésitez pas si vous avez d'autres questions.

Et merci, vous toutes, pour votre soutien - ça fait du bien de pouvoir parler ici de l'agonie de notre sacrée Babeth.

Ta disponibilité anna est remarquable en ce moment. Avec ce que tu traverses, prendre le temps d'aider et d'apporter ces précisions et le plaisir que tu dis avoir se ressent dans ce que tu écris.

En plus vos explications à l'une et à l'autre sont très intéressantes , voir même passionnantes!!

Merci encore. C'est vrai que parler théâtre, travail, jeu me passionne, tout cela, toute cette étrange "mécanique" (dans le bon sens du terme) me fascinent et me fascineront toujours. Si, en plus, je peux rendre un peu service, alors, je suis comblée

merci anna.

on a fait ce qu'elle appelle des italiennes toute l'aprem, je connais une grosse partie du texte  

Tu l'a vraiment aidée, sa prof l'a planté avec ce texte, elle en avait un autre "lorenzacio" qu'elle maîtrisait mais sa prof voulait qu'elle présente un texte moderne...

tu ferais une excellente prof Anna

Super !

Attention avec les italiennes : les faire sur un "ton" neutre, blanc, sinon on risque de prendre des tics d'intonation, de le chanter toujours de la même façon, et pour s'extirper ça de la tête ensuite... bonjour les dégâts...

Et après les italiennes, les allemandes - mais ce ne sera sans doute pas nécessaire, sauf pour se rassurer.

Après le travail, le repos ! (Et puis d'ailleurs, le texte et les idées vont travailler tous seuls pendant le sommeil )

oui dodo, on se lève à 5,15h. oui pour les italiennes on faisait que du récitage

bises, je te tiens au courant pour les notes si elle les récupére
bises

C'est demain ?!
Je penserai à vous, Laurane

Là, j'espère juste passer une bonne nuit.
Et un petit rêve m'occupe gentiment l'esprit (après un très bon film) : m'offrir une pipe électronique... je trouve ça d'un chic !

Avec mon e-liquide miel, je devrais me régaler

Bonne nuit, tout le monde

bonjour anna ,
je lis ton post sur babeth , et me revois il y a 2 ans avec mon copain italien , lui aussi malade mais d une dégénerance musculaire qu il a eu à 45 ans et qui l a combattu pendant 5 ans ! et moi également à son chevet , jusqu à la fin , et comme ton amie je lui ai souhaité xxx fois la mort ! plus de communication qu avec des battements des yeux , et avec l augmentation de morphine , la souffrance n y etait plus , et les bâtements des yeux non plus !!
je ne peux pas te dire de ne plus y aller quand cela arrivera , car avec son regard vide , et le corps qui s en va , je garde en mémoire cette dernière vision , m^me si j ai la photo pas loin de moi de son vivant grrrrrrr
je te souhaite un bon courage ,et pense à toi !

Ahh je connaissais pas la pipe électronique! Ca doit faire bizarre sur une femme, enfin j'dis ca j'dis rien
J'espère que ta journée sera bonne

Merci, Michèle. Je sais, les dernières images d'une personne tant dégradée se gravent à jamais dans la mémoire (je pense à un ami, à mon père, tous deux un cancer, accompagnés jusqu'au bout) ; mais notre présence près d'elle doit lui être précieuse, du moins je l'imagine ; et puis d'autres images, de leur vie d'avant la maladie reviennent peu à peu, au fil des années, heureusement.

Oui, Sanka, ne dis rien Je fumais la pipe à l'âge de 16 ans (celle de mon père, tiens, qu'il m'avait donnée - mon père partageait avec moi, surtout, le fait de fumer et les demis au bar quand il venait me chercher après les cours... ; il disait : "C'est l'Algérie, l'armée, qui m'a appris à boire et à fumer"...).
Bon, après l'accident relaté aux "infos" hier soir, voilà-t-y pas que j'ai peur de ma vapote Je vais essayer de me renseigner plus avant.

Ma journée a intérêt à être bonne ! Et puis le soleil est là

Bonne journée, tout le monde

Sacrée mauvaise journée. Pour rien. Je suis enragée contre moi. Ce soir, j'aurais bien bu beaucoup et fumé beaucoup - je ne l'ai pas fait, au moins ça.

Comme je me sens :

Sa colère
Vrille
Monture enragée
Les gifles
Entaillent une joue
Ô plaisir
Qui murmure
Tue cette carne
Pathétique
Ose enfin
Face au miroir
Sa caresse brûle
Torture palpitante
Inepte
Ô disparaître
Bilieuse calamité
Piètre loque
Incapable de museler
Ce mal
Qui la taraude

(Et j'ai mis le plus soft.)

Temps d'aller me coucher avec tous mes médocs. Pas soûle, juste de colère.
Désolée.

Bonne nuit

Qu'est-ce qui t'arrive, Anna ?